Comment prédire des troubles cognitifs avant leur apparition ?

Innovation Biologie

Considérées par certains scientifiques comme les « maux du siècle », les maladies cognitives dégénératives font partie des pathologies que craignent le plus les français et les françaises1 . Touchant principalement les personnes âgées, ces maladies font l’objet d’un suivi médical mobilisant des examens parfois couteux et invasifs. Serait-il possible d’avoir recours à des moyens médicaux plus accessibles pour détecter les premiers signes de décrochage cognitif ? C’est la question que se pose le projet de recherche Prédicog, porté par une équipe de scientifiques toulousain·es.

CerCo
L'équipe CerCo du projet Prédicog devant la plateforme IRM recherche du CHU Purpan.
De gauche à droite : Andrea Alamia, Muriel Mescam, Florence Rémy, Damien Mateo, Nathalie Vayssière, Isabelle Berry.

© Yoann Fave

Contraction des termes « prédiction » et « cognition », ce projet de recherche financé par la région Occitanie à hauteur de 250 000€ regroupe des chercheuses et chercheurs du Centre de recherche cerveau et cognition2 , du laboratoire Toulouse Neuro Imaging Center3 , et du Gérontopôle du CHU de Toulouse. Porté notamment par Florence Rémy, enseignante-chercheuse au CerCo, Prédicog vise à identifier les marqueurs prédictifs de potentiels décrochages cognitifs à l’aide d’une suite d’outils innovants. Parmi les moyens médicaux bien connus des praticien·nes du domaine émerge une technologie dont le rôle complémentaire semble encourageant à de nombreux titres : l’oculométrie.

D’un besoin pratique découle une problématique de recherche

Spécialiste des analyses par imageries médicales appliquées aux neurosciences, thématique centrale des recherches menées au Centre de recherche cerveau et cognition, Florence Rémy est responsable scientifique du projet Prédicog. Fort de relations étroites avec le laboratoire ToNIC et de son implantation au Centre hospitalier universitaire de Purpan, le CerCo permet à ses scientifiques d’accéder au plateau d’imagerie par résonance magnétique (IRM) destiné à la recherche du Pavillon Baudot au CHU.

À l’heure actuelle, les moyens médicaux mobilisés dans le cadre du suivi cognitif des personnes âgées sont souvent couteux et demandent un investissement logistique important, lié notamment aux outils d’imagerie (IRM, TEP). Ce constat a amené les scientifiques internationaux à s’interroger sur de potentiels outils complémentaires plus accessibles qui, après de nombreuses phases d’expérimentation, pourraient être intégrés au dispositif de suivi clinique. Dans ce cadre, des équipes de recherche toulousaines se sont associées autour du projet Prédicog, afin d’éprouver la fiabilité de nouveaux moyens de dépistage des décrochages cognitifs, dont font partie la mesure de score cognitif et l’analyse oculométrique.

En se basant sur la réponse pupillaire des personnes âgées, l’oculométrie pourrait permettre d’identifier des marqueurs précoces de troubles d’ordre cognitif. En effet, la réactivité des pupilles trouve pour partie sa source dans le locus coeruleus, noyau sous-cortical situé dans le tronc cérébral. Cette zone de l’encéphale est depuis quelques années très étudiée en neurosciences, car elle semble abriter les premières lésions neurologiques chez les personnes atteintes de maladies cognitives dégénératives comme Alzheimer. L’oculométrie pourrait ainsi représenter un nouvel outil pour sonder l’état de santé de cette région du cerveau humain, grâce à une analyse croisée avec des résultats d’IRM.

Des partenaires et le soutien d’une région

Pour qualifier un nouvel outil médical dans un domaine d’analyse précis, il est nécessaire de démontrer son efficacité dans le cadre d’études comparatives à grande échelle. Pour ce faire, l’équipe du projet Prédicog a obtenu un accès à la cohorte humaine INSPIRE-T du Gérontopôle du CHU de Toulouse, composée d’un millier de volontaires âgé·es de 20 à plus de 100 ans. En s’insérant en tant qu’étude ancillaire du dispositif mis en place par le CHU de Toulouse, le projet piloté par Florence Rémy pourra évaluer l’efficience de la suite d’outils médicaux mobilisés auprès d’un groupe composé de 100 participant·es de plus de 60 ans, sans trouble cognitif recensé.

« C’est un cadre idéal pour notre équipe, car nous avons la possibilité de tester et d’imager des sujets sains, qui seront suivis sur un grand nombre d’années dans le cadre de la cohorte et nous pourrons avoir accès à certaines données cliniques recueillies » explique la chercheuse.

Les scientifiques toulousains ont aussi fait appel à deux startups françaises, spécialisées dans le suivi cognitif et la mobilisation de l’oculométrie en tant que dispositif médical. Basée à Colomiers, l’entreprise COVIRTUA Healthcare apportera son expertise dans le domaine de la « remédiation cognitive » via des outils logiciels, permettant également un suivi propice à l’observation des premiers signes de décrochages cognitifs. De son côté, la startup parisienne SURICOG fournira un oculomètre de dernière génération, auquel s’ajoutera une formation de pointe pour le personnel amené à mobiliser cet outil. L’entreprise s’engage également à développer et fournir les outils de traitement de données produites durant l’étude. Cette collaboration avec le secteur privé a permis aux scientifiques de répondre à l’appel à projet « Recherche et Société 2021 » de la région Occitanie, aboutissant au financement de Prédicog sur 3 ans, à hauteur de 250 000€. 

Suricog
Illustration de l'oculomètre fourni par l'entreprise Suricog.

© Suricog

Mise en place et attentes du projet

En mobilisant les compétences complémentaires apportées par ces PME, les chercheuses et chercheurs mèneront une étude longitudinale, comprenant plusieurs examens sur une période de 18 mois, qui devrait débuter en septembre 2022. Durant cette période, le corpus de volontaires issu de la cohorte du Gérontopôle de Toulouse sera convoqué au fil de l’eau au CHU Purpan, pour réaliser à 2 reprises espacées de 18 mois des mesures de score cognitif, avant d’être soumis aux analyses oculométriques, suivies d’une IRM. Cette combinaison d’outils scientifiques à des fins médicales constitue une réelle innovation dans le domaine des neurosciences appliquées à des questions de maladies cognitives dégénératives.

En comparant les résultats obtenus durant ces deux campagnes d’analyses, les scientifiques cherchent à éprouver la capacité de cette suite d’outils médicaux à déceler les premiers signes d’éventuels décrochages cognitifs chez les volontaires sondé·es ou, à l’inverse, à attester d’une préservation cognitive significative. Grâce à l’intégration du projet Prédicog dans la cohorte INSPIRE-T, les équipes de recherche pourront continuer à suivre le corpus de personnes âgées après la fin de l’étude longitudinale, leur accordant une visibilité étendue sur leurs évolutions cognitives.

Quelles pourront être les répercussions de ces recherches ?

« Avoir des marqueurs IRM, mais surtout oculométriques et cognitifs, beaucoup plus faciles d’accès et moins chers, serait très intéressant dans le cadre de marqueurs précoces, car on peut les envisager en routine clinique », précise Florence Rémy.

Dans le cas de résultats concluants, ce projet de recherche pourrait initier l’intégration de l’oculométrie dans la routine clinique de suivi cognitif des patient·es. Du fait de sa relative simplicité, en comparaison à l’IRM, ce nouvel outil pourrait participer au diagnostic précoce de troubles cognitifs chez un effectif de patient·es potentiellement plus important. Plus largement, le projet Prédicog participe au renouvellement des dispositifs innovants intégrés aux recherches dans le domaine des neurosciences. Par conséquent, ce projet de recherche d’une durée de trois ans participera également à qualifier le recours à l’oculométrie et à l’évaluation cognitive pour l’identification de marqueurs prédictifs d’un déclin cognitif ou d’un « vieillissement réussi ».

  • 1IPSOS 2017
  • 2(CerCo – CNRS / Université Toulouse III – Paul Sabatier)
  • 3(ToNIC – Inserm / Université Toulouse III – Paul Sabatier)

Contact

Florence Rémy
Enseignante-chercheuse rattachée au Centre de recherche Cerveau et Cognition (CERCO - CNRS / Université Toulouse III - Paul Sabatier)