Course au financement vers la robotique humanoïde

Innovation Sciences informatiques

Grâce aux progrès exponentiels de l’intelligence artificielle, l’équipe Gepetto du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS (LAAS-CNRS) travaille à doter ses robots humanoïdes d’une mémoire du mouvement. Ces travaux de recherche accessibles sur des plateformes open source nourrissent les projets de nouvelles entreprises. Partenaire historique de Gepetto, PAL Robotics vient ainsi de créer la startup Toward à Toulouse et répond ainsi à la nécessité de faire comprendre que l’open source est libre mais pas gratuit.

À force de fréquenter des robots et de les mettre en mouvement, il est de plus en plus fasciné par le corps humain. Dans le grand atelier de son laboratoire de recherche, Olivier Stasse nomme chacun de ses protégés : TALOS, TIAGo, Spot ou Solo. Et tandis qu’il en présente les spécificités, il mesure les énormes progrès accomplis depuis la création du laboratoire. Il liste aussi les nombreuses étapes à franchir avant qu’un robot bipède, inspiré des mouvements humains, ne soit capable de se déplacer et de rendre un service opérationnel de façon autonome dans un environnement complexe et imprévisible.

Pyrène, un robot humanoïde
Le robot humanoïde TALOS du LAAS-CNRS, nommé Pyrène, est doté d'une structure complexe équipée de 32 moteurs électriques. Pyrène est conçu pour porter de lourdes charges, monter ou descendre des escaliers, s'adapter à des sols instables, se servir d'outils pour effectuer des actions complexes. - © Cyril FRESILLON / LAAS / CNRS Photothèque

L’intelligence artificielle pour une mémoire du mouvement

« Le mouvement humain est extrêmement sophistiqué, rappelle Olivier Stasse, directeur de recherche au CNRS, responsable de l’équipe Gepetto au LAAS-CNRS. Imaginez un joueur courant sur un terrain de foot entouré de joueurs. Un ballon arrive. Le joueur opère plusieurs gestes simultanés, prend des décisions en un éclair et déclenche une action. Quand on essaie de modéliser et de reproduire cela sur une machine artificielle - alors même que le simple fait de rester debout implique la mobilisation de 200 muscles - c’est une complexité immense. »

C’est cet objectif à la fois scientifique et technologique que poursuit l'équipe. Créée au sein du LAAS-CNRS en 2006, elle est centrée sur l'analyse et la génération de mouvement des systèmes anthropomorphes. Les travaux d’Olivier Stasse et de l’équipe Gepetto, portent sur le calcul distribué en temps réel et les systèmes de vision intelligents pour les robots humanoïdes. « Pour réaliser des mouvements qui mettent en jeu le corps dans son ensemble (attraper un objet d’une main tout en se penchant par exemple) et afin de les doter de capacités d'apprentissage et de prise de décision, nous développons des outils mathématiques, de nouveaux algorithmes de planification et de contrôle des mouvements. C’est cela qui permettra à un robot, quand il se retrouvera dans un contexte qu’il aura précédemment exploré, de savoir quel type d’actions réaliser et comment réaliser une tâche complexe » précise le chercheur.

Doter un robot d’une mémoire du mouvement, d’une forme épurée (comme l’être humain) et d’un geste précis constitue actuellement le Graal des scientifiques, qu’ils travaillent pour Boston Dynamics, pour le Tesla Bot d’Elon Musk ou au sein du LAAS-CNRS. Pour cela et au-delà du développement d’algorithmes, la robotique humanoïde doit procéder à une itération systématique, multiplier les tests en grandeur réelle et définir des applications utiles.

Un travail colossal qui dépasse les missions des scientifiques. « Nous aurions pu déposer des brevets ce qui nous aurait permis de financer nos projets et d’embaucher, explique Olivier Stasse. Plusieurs raisons nous en dissuadent et notamment la complexe gestion de la propriété intellectuelle et la définition d’une stratégique économique. Ce n’est pas notre métier et c’est pourquoi nous avons choisi de mettre nos logiciels à disposition sur des plateformes open source et de constituer des partenariats de recherche avec les entreprises. »

Open source, libre mais pas gratuit

Les entreprises qui développent leur propre projet robotique ont accès aux logiciels développés par l’équipe via la plateforme GitHub : « Pinocchio est actuellement l’une des plus visibles » explique Olivier Stasse. Il s’agit d’une librairie de calculs dynamiques axés sur les applications robotiques, d'animation par ordinateur et biomécaniques. Elle implémente de nombreux algorithmes extrêmement utiles pour le contrôle des robots. Se basant sur Pinocchio, Croccodyl est de son côté une librairie qui permet un contrôle optimal des robots. Elle calcule les trajectoires optimales ainsi que les gains de rétroaction optimaux, c’est-à-dire qu’elle permet de générer des mouvements en les corrigeant dans un laps de temps très court. Tout un chacun peut avoir accès à ces logiciels et se les approprier. « Je suis très content que grâce au ‘libre’ nos travaux de recherche soient utilisés par la communauté tech et qu’une entreprise puisse développer son produit, explique Olivier Stasse. En tant que chercheur·es, nous avons le sentiment de remplir notre mission autant qu’avec la publication de nos recherches. Néanmoins, ce n’est pas parce que c’est libre que c’est gratuit ! Nos coûts sont importants (une plateforme de recherche comme le robot TALOS par exemple coûte de l’ordre d’un million d’euros), la concurrence est rude et l’un de nos grands objectifs est de pérenniser de bonnes conditions de recherche. »

Robot TIAGo, utilisé dans le cadre du programme Rob4Fam par le LAAS-CNRS
Robot TIAGo conçu par la société PAL Robotics et utilisé dans le cadre de Rob4Fam, un programme de recherche commun entre le LAAS-CNRS et Airbus dont l’objectif est de concevoir des technologies robotiques adaptées à la production aéronautique. - © Cyril FRESILLON / LAAS / CNRS Photothèque​​​​

Des alliances stratégiques

N’ayant pas la force de frappe financière d’Elon Musk ou de Boston Dynamics, l’équipe du LAAS-CNRS cherche des alliances structurantes. Le robot TIAGo installé dans le laboratoire est ainsi financé par un laboratoire commun. Ainsi, Rob4Fam (Robots For the Future of Aircraft Manufacturing) a été créé en 2018 par le LAAS-CNRS et Airbus dans le but de doter les robots d’une capacité de réactivité et d’améliorer le développement de la robotique dans la production aéronautique. Autre partenaire de poids : PAL Robotics avec qui le projet européen Memmo (coordonné par Nicolas Mansard directeur de recherche CNRS au LAAS-CNRS) est en cours et qui fournit à l’équipe les robots TALOS et TIAGo. L’entreprise espagnole, leader européen de la robotique de service, soutient très fortement toutes les communautés de développement open source. Son CEO et co-founder, Francesco Ferro vient de créer une entreprise installée à La Cité à Toulouse. Baptisée Toward, la startup est destinée à commercialiser et maintenir les robots de PAL Robotics en France mais aussi à développer des partenariats de recherche avec le LAAS-CNRS. Le responsable scientifique de Toward, Pierre Fernbach a fait son doctorat et son post doctorat dans l’équipe : « Un projet de laboratoire commun entre Toward et le CNRS est en cours de développement. L’objectif est d’encadrer juridiquement les relations des partenaires en mettant à profit leurs expériences, connaissances, moyens matériels et financiers pour garantir la durabilité du projet. La proposition est déposée dans le cadre de l’appel LabCom financé par l’ANR ». La création de Toward devrait permettre de recruter une partie des jeunes scientifiques que les laboratoires de recherche publique peine à garder après leur post-doctorat. Ils et elles peuvent trouver un débouché industriel tout en poursuivant leurs collaborations avec l’équipe. La création de Toward est aussi une réponse aux effets secondaires de la mise à disposition des logiciels en open source. Une autre startup toulousaine, Nimble One, a en effet utilisé les algorithmes de l’équipe d’Olivier Stasse pour développer son robot sans qu’il y ait eu un lien formel avec l’équipe GEPETTO. « Je suis très content que grâce au libre une société ait pu développer son produit. Mais sur des sujets aussi complexes, les partenariats entreprises et laboratoires publics sont les seuls qui permettent de tenir sur le moyen et long terme » conclut Olivier Stasse avant de retrouver Solo, le robot quadrupède développé par le LAAS-CNRS et capable de sauter quatre fois sa taille.

Robot quadrupède Solo 8 au LAAS-CNRS
Solo 8 est un robot quadrupède en libre accès développé par le Max Planck Institute en collaboration avec le LAAS-CNRS dans le cadre du projet "Open Dynamic Robot Initiative". Ce robot est utilisé au LAAS-CNRS pour l’étude de la locomotion des robots à pattes. - © Cyril FRESILLON / LAAS / CNRS Photothèque

Emmanuelle Durand-Rodriguez,
journaliste