De la thèse de doctorat au marché européen de l’eau, le parcours deep tech de la startup Hetwa

Innovation Écologie & environnement

En 2027, les masses d'eau européennes devront présenter un bon état écologique et chimique. C’est pour répondre à cet objectif fixé par la directive cadre sur l'eau de 2000 que la startup Hetwa développe une plateforme web pour la visualisation de la gestion de la ressource en eau. Docteure au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement de l'Observatoire Midi-Pyrénées (CNRS / Université Toulouse III – Paul Sabatier / INP Toulouse) et CEO d’Hetwa, Roxelane Cakir poursuit une aventure deep tech démarrée pendant sa thèse.

D’ici à 5 ans, tous les cours d'eau, plans d'eau, lacs, eaux souterraines et eaux littorales de toute l’Union Européenne sont censés être en bon état. C’est très loin d’être le cas aujourd’hui puisqu’on estime que plus de 70% des eaux ne répondent pas aux critères écologiques et chimiques de bon état de l’eau. La France et les autres pays de l’Union Européenne ne sont pourtant pas pris au dépourvu : la directive-cadre sur l'eau (DCE) a été adoptée il y a 22 ans et la date butoir, fixée une première fois en 2015, a été repoussée à 2027.

Zone humide artificielle de Rampillon
Zone humide artificielle de Rampillon

© Cyril FRESILLON/IRSTEA/CNRS Photothèque

Une des raisons qui explique ce retard est l’absence d’outils réellement efficaces de visualisation et de gestion de l’eau. Faute de pouvoir partager leurs données et d’avoir une vision complète de l’état des eaux, les multiples acteurs concernés (syndicats mixtes, communes, agences de l’eau, bureaux d’études) ont des difficultés à protéger ou à restaurer les milieux aquatiques ainsi qu’à faire des prévisions. « Certes les actions sont nombreuses mais elles sont morcelées, explique Roxelane Cakir, qui était encore récemment post-doctorante au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement. Pour établir un diagnostic ou prendre une décision d’implantation près d’un cours d’eau, on ne dispose aujourd’hui que d’études ponctuelles, partielles et par ailleurs très chronophages. »

C’est pour résoudre ce besoin du marché que la jeune docteure en hydro-écologie, titulaire d’une thèse sur les fonctions écologiques de régulation des nitrates via le processus de dénitrification, propose l’accès à une plateforme web, Indiqu’Eau. Celle-ci regroupe des observations, données et modélisations permettant d’analyser les prédictions au regard des normes environnementales, de développer des indicateurs adéquats à la problématique du territoire, d’évaluer les coûts des changements de pratiques nécessaires (agriculture, barrages, stations de traitement) et d’aider à la décision.

La dépollution de l’eau par les nitrates

Roxelane Cakir a découvert le monde de l’eau après son diplôme d’Ingénieure agronome de l’INP-ENSAT. Dans le cadre de son master Ecosystème et anthropisation, elle a travaillé en Nouvelle-Calédonie et en Australie sur l'impact du changement climatique sur les mangroves. Elle a ensuite poursuivi ses travaux de recherche, durant sa thèse au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement. C’est là qu’elle a rencontré deux personnes déterminantes pour la suite de son parcours : Sabine Sauvage, ingénieure de recherche CNRS et José Miguel Sánchez-Péraez, directeur de recherche CNRS, spécialistes de la modélisation des flux naturels de la zone critique, cette mince zone fortement impactée par l’activité humaine, située entre l’atmosphère, l’hydrosphère et les sols.

Au sein de l’équipe EcoBIogéochimie de la Zone critique, Roxelane Cakir a contribué, en doctorat puis en post doctorat, à quantifier et à modéliser « les services écosystémiques c’est-à-dire les services rendus par la nature, plus précisément le rôle des nitrates dans la dépollution de l’eau. » La publication par Roxelane Cakir de deux articles, l’un sur l’évaluation des indicateurs de la fonction écologique liés aux nitrates et l’autre sur l’évaluation économique de la contribution naturelle des nitrates à la dépollution de l’eau ont attiré l’attention de plusieurs syndicats mixtes en charge de la gestion de l’eau. « C’est en échangeant avec Sabine et José, qu’a émergé l'idée de la startup. Au même moment, en septembre 2020, j’ai entendu parler de la première édition du programme Doc d’Occitanie pour valoriser ses travaux de thèse. »

Un prototype dès le printemps

Sélectionnée par Toulouse Tech Transfer, Roxelane Cakir bénéficie alors d’un accompagnement à l’entrepreneuriat deep tech et de conseils spécifiques : sensibilisation au transfert de technologie, conseil en propriété intellectuelle et surtout analyse du potentiel économique. L’étude de marché s’est révélée particulièrement positive, confirmant l’existence d’«un marché florissant» et conduisant la docteure à la création d’ Hetwa en janvier 2022.

Actuellement l’entreprise propose à la fois des prestations de service et développe des partenariats lors de réponses communes à des appels d’offres, ces deux activités permettant de financer le développement de la plateforme Indiqu’Eau.

« Dans un premier temps la plateforme est basée sur une optimisation statistique. J’utiliserai ensuite des algorithmes d'optimisation », explique Roxelane Cakir. « Je travaille avec le syndicat mixte de la Save sur le premier prototypage et je prévois la commercialisation d’Indiqu’Eau pour le deuxième semestre 2022. »

Déjà lauréate du concours d’innovation i-Phd de BPI France, Roxelane Cakir prévoit de postuler prochainement à la Bourse French Tech afin de financer une partie de l’innovation nécessaire à la croissance d’Hetwa.

 

Emmanuelle Durand-Rodriguez
Journaliste scientifique

En savoir plus

Découvrez le portrait vidéo de Roxelane Cakir réalisé par Toulouse Tech Transfer (TTT)

Contact

Roxelane Cakir
Chercheuse CNRS au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement (CNRS / Université Toulouse III – Paul Sabatier / INP Toulouse)