En Dordogne, les Néandertaliens ont continué à chasser dans les mêmes milieux pendant des millénaires

Résultats scientifiques Écologie & environnement

Dans le cadre du projet ANR DeerPal, des chercheurs ont étudié le comportement alimentaire des herbivores chassés par les Néandertaliens du site de Combe-Grenal en Dordogne, afin de reconstituer les milieux d’où provenaient ces proies. Ces données montrent que pendant des millénaires, malgré d’importants changements environnementaux, les Néandertaliens ont chassé en milieu ouvert. Cette étude, publiée dans la revue PLOS ONE, souligne la complexité des relations entre changements environnementaux et groupes humains préhistoriques.

Selon ces recherches, menées entre 2019 et 2021 par Émilie Berlioz au laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés1 (TRACES) et ses collaborateurs dans le cadre du projet ANR DeerPal, les Néandertaliens de la grotte de Combe-Grenal (Dordogne, France) ont continuellement choisi de prélever leurs proies en milieu ouvert, plutôt que d’adapter leurs techniques de chasse aux modifications de leur environnement induites par les oscillations climatiques.

Les auteurs ont étudié l’usure des dents de près de 400 herbivores chassés par les populations humaines néandertaliennes sur plusieurs millénaires (entre environ 90 et 45 000 ans avant le présent), à proximité du site archéologique de Combe-Grenal, l'une des plus importantes séquences du Paléolithique moyen d’Europe occidentale. Il s’agissait de rennes, de cerfs élaphes, de bisons et d’aurochs. L’écologie alimentaire de ces animaux a été explorée via les analyses de texture des micro-usures dentaires en 3D (DMTA), une approche innovante, encore peu utilisée en archéologie, basée sur l’étude de la texture résultant des micro-traces laissées par les aliments ingérés à la surface des dents. La DMTA permet de connaître les ressources végétales consommées par les herbivores durant les derniers jours de leur vie et ainsi de reconstituer leurs paléoenvironnements. Cette étude, menée dans le cadre du projet ANR DeerPal, a été rendue possible grâce au concours du Musée National de Préhistoire (Les Eyzies) et à l’acquisition en 2019, par le laboratoire TRACES de Toulouse (UMR 56508), d’un outil spécifique : un microscope confocal Leica DMC8.

TRACES
Moulages dentaires pour l’analyse des paléoenvironnements exploités par les populations néandertaliennes.

© Aurora Diaz Obregon

Alors que des études antérieures basées sur d’autres approches analytiques ont montré que la région a connu d’importantes oscillations climatiques ayant modifié l’environnement et impacté la faune locale, Emilie Berlioz et ses collaborateurs montrent que pendant des millénaires, les herbivores chassés se sont nourris principalement, peu avant leur mort, de graminées poussant en milieu ouvert de type toundra, même pendant les périodes de développement du couvert forestier.

Ces résultats, uniquement mis en lumière par la DMTA, suggèrent que les animaux ont été continuellement prélevés dans les milieux ouverts qu’ils fréquentaient peu avant leur abattage. Ils nous indiquent par conséquent que les chasseurs néandertaliens ont continué à exploiter des milieux ouverts et n'ont pas été contraints de modifier leurs tactiques de chasse afin de s’adapter à des environnements forestiers, où les rencontres avec le gibier sont plus rapprochées. Ces résultats ont permis d’apporter un nouveau regard sur l’utilisation des territoires par les Néandertaliens.

TRACES
Moulages dentaires pour l’analyse des paléoenvironnements exploités par les populations néandertaliennes.

© Aurora Diaz Obregon

Ces informations paléoécologiques sont essentielles pour mieux appréhender l‘influence des changements environnementaux locaux sur les stratégies de subsistance, les innovations techniques et l'histoire évolutive humaine. Afin de vérifier si cette tendance se vérifie à différentes époques et dans différentes régions, les auteurs prévoient maintenant d’étudier, via la même approche, d'autres sites préhistoriques.

TRACES
Représentation 3D en fausse couleur d ’une surface dentaire (200 x 200 µm²).

© Emilie Berlioz

 

  • 1Tutelles : CNRS, Ministère de la Culture, UT2J