L’innovation en sciences humaines et sociales : comment remettre la recherche au centre des enquêtes publiques ?

Innovation Sciences humaines & sociales

Les sciences humaines et sociales (SHS) sont très régulièrement mobilisées par les pouvoirs publics, dans le cadre d’enquêtes de terrain notamment. Pour autant, les méthodologies inhérentes aux recherches actuelles dans ce domaine sont-elles suffisamment mobilisées ? Pour répondre à ce besoin, des laboratoires toulousains du CNRS collaborent depuis des années pour créer de jeunes entreprises chargées de proposer des méthodologies innovantes en SHS.

Michel Grossetti
© Toulouse Tech Transfer (TTT)

Lauréat du Trophée impact social/sociétal décerné en 2021 par Toulouse Tech Transfer (TTT), Michel Grossetti est directeur de recherche CNRS et directeur d’études EHESS au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST - CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès). Spécialiste des institutions scientifiques, des réseaux sociaux et des relations science-industrie, il a collaboré au début des années 2000 avec Marie-Pierre Bès (économiste et sociologue, enseignante-chercheuse à l’Université Paul Sabatier, membre du LISST) pour proposer une méthode d’enquête innovante, baptisée par la suite « narrations quantifiées ». Cette méthode mixte « articule des approches qui relèvent plutôt de l’histoire orale, d’une sociologie plus classique par entretien, avec des approches en matière de réseaux et de chaînes relationnelles » explique Michel Grossetti.

Une innovation qui séduit de nombreux scientifiques

En réunissant de multiples avantages des méthodologies qualitatives, plus détaillées et propices à une analyse fine, et des outils du versant quantitatif, cette méthode mixte a rapidement fait l’objet de reprises dans le cadre de travaux de thèses. Ne se limitant pas seulement au territoire toulousain, cette nouvelle approche méthodologique est notamment utilisée pour étudier les chaînes relationnelles et les dispositifs mobilisés lorsque des individus ou des organisations souhaitent accéder à des ressources spécifiques, par exemple un emploi, des financements pour des entreprises nouvelles, des conseils juridiques et bien d’autres encore. Parmi les travaux réalisés en France à l’aide des narrations quantifiées, les thèses de Nathalie Chauvac (chercheuse associée au LISST) et Laurence Cloutier (chercheuse au sein du Labex Entreprendre, Université de Montpellier) ont abouti à la création d’une structure qui vise à valoriser ces innovations de la recherche en sciences humaines et sociales dans le cadre d’appels d’offres.   

Une entreprise proche de la recherche en train de se faire

Née en 2013 d’une initiative regroupant chercheur·euses et doctorant·es de laboratoires toulousains, la jeune entreprise universitaire (JEU) Scool se propose de répondre à des appels à projets divers, en s’appuyant sur les capacités d’analyse de la recherche actuelle. Cette structure qui opère aujourd’hui en tant que Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) permet à de nombreux·euses scientifiques de collaborer avec divers acteurs en dehors du monde académique, dans le cadre d’une entreprise proche du monde universitaire. Ce statut spécifique est particulièrement apprécié par les porteurs de création d’entreprise en sciences humaines et sociales car il permet de fédérer plusieurs partenaires publics et privés ainsi que les membres salariés au sein des collèges qui la composent. Présentée par Nathalie Chauvac comme « un résultat de recherche », l’entreprise coopérative Scool participe aujourd’hui à la structuration et à la pérennisation des activités de jeunes chercheur·euses, qui réalisent très souvent des études dans des conditions précaires, faute de poste en universités. 

Mise en réseau de scientifiques

Très tôt, l’ambition de mettre en réseau de jeunes docteur·es a émergé dans les laboratoires de recherche en sociologie. Avec pour avantage notable d’accorder un contrôle sur les méthodologies employées, directement issues des travaux en cours dans les unités de recherche, la structure coopérative Scool a permis de mobiliser de nombreux outils innovants en SHS, dans le cadre d’appel à projets locaux ou nationaux. Pour sélectionner les projets auxquels la structure décide de répondre, elle peut compter sur un « collège scientifique » composé de chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales du site toulousain.

Les narrations quantifiées, à l’origine de ce regroupement scientifique, ont également suscité un rapprochement avec l’entreprise toulousaine Echelles & Territoires, davantage spécialisée dans le domaine de la géographie. Cette mise en relations d’acteur·es de la recherche dans le but de former des structures compétentes et complémentaires constitue la base de ce que Michel Grossetti présente comme une « potentielle alternative aux grands groupes de consultants appliquant des grilles d’analyse standardisées, qui tirent peu parti des travaux de recherche les plus récents en sciences humaines sociales ».

L’avenir des recherches collaboratives en SHS

Il existe pourtant de nombreuses collaborations entre des associations ou des groupes de citoyens et des scientifiques qui interviennent bénévolement pour résoudre divers problèmes. Souvent non contractualisées, ces expériences sont peu visibles et n’ont pas la portée qu’elle pourraient avoir. C’est pourquoi des sociologues du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST – CNRS, UT2J), de la Maison des Sciences de l’Homme & de la Société de Toulouse (MSHST – CNRS, UFTMiP) et du laboratoire Éducation, formation, travail, savoirs (EFTS – Ensfea, UT2J) collaborent dans le but de recenser ces expériences et d’identifier les outils innovants issus de la recherche en SHS, applicables aux demandes des administrations et autres institutions publiques.

Contact

Michel Grossetti
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST - CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès)