Ondes gravitationnelles : un nouveau signal au cœur de la mission spatiale LISA

Résultats scientifiques Nucléaires & particules

La mission spatiale LISA ouvrira une nouvelle fenêtre pour la détection des ondes gravitationnelles à basse fréquence. Parmi les nombreux signaux que LISA devrait observer, les ondes gravitationnelles émises par les binaires à rapport de masse extrême (EMRIs) sont les plus complexes et les plus difficiles à détecter. Comme l'a montré une équipe de scientifiques en cosmologie et en astrophysique du Laboratoire des 2 infinis - Toulouse1 , les EMRIs peuvent en outre être soumises à l'effet d'une lentille gravitationnelle2 . Les EMRIs qui subissent l'effet d'une lentille gravitationnelle, que l'équipe a nommé LEMRIs, présentent un signal d'ondes gravitationnelles encore plus complexe que leur version standard. Néanmoins, comme le montre l'équipe menée par des scientifiques de l'IN2P3 et du CNRS dans une récente publication parue dans Physical Review D, leur détection pourrait offrir de nouvelles perspectives majeures en cosmologie et en astrophysique.

L2IT
De gauche à droite : le mouvement d’une EMRI  (en jaune est indiquée la trajectoire de l’objet le plus léger autour de l’objet plus massif) ; la EMRI émet des ondes gravitationnelles (les “oscillations” en vert) "vers la droite" ; les ondes gravitationnelles sont déformées par la présence d’une grande masse (cette déformation est illustrée par le fait que les amplitudes des deux ondes sont différentes) ; la propagation des ondes gravitationnelle jusqu’à l’observateur (LISA).

© Ollie Burke (L2IT)

Les « Extreme Mass Ratio Inpirals » (EMRIs), soit, des « binaires à rapport de masse extrême », sont formées par un petit objet compact qui se rapproche en spirale d'un trou noir dont la masse est égale à plusieurs millions de fois celle du soleil. L'interaction gravitationnelle entre les deux objets produit des ondes gravitationnelles, c'est-à-dire de minuscules perturbations de l'espace-temps, qui se propagent dans l'Univers à la vitesse de la lumière.

Ces ondes gravitationnelles se situent dans la gamme de fréquences à laquelle la future mission spatiale LISA de l'ESA3 sera sensible. Elles sont invisibles pour les interféromètres actuels LIGO4 et Virgo5 qui observent à des fréquences plus élevées. Au cours de ses quatre années de mission planifiées, LISA détectera de nombreux signaux d'ondes gravitationnelles provenant de différentes populations de sources. Selon diverses études astrophysiques, le taux de détection des EMRIs par LISA reste assez incertain : entre 1 et 1000 par an.

Jusqu'à présent, personne n'a pris en compte l'effet qu'une lentille gravitationnelle peut avoir sur les ondes gravitationnelles émises par les EMRIs. L'effet de lentillage gravitationnel se produit lorsqu'un objet massif (la lentille, qui est généralement une galaxie ou un amas de galaxies), situé le long de la ligne de visée entre la source et l'observateur, courbe l'espace-temps environnant, déviant ainsi le signal émis par la source de sa trajectoire d'origine. Il peut en résulter une amplification du signal et la production d'images multiples, à l'instar de ce qui se passe en optique avec une lentille de verre.

Il est donc naturel de se demander si LISA pourrait détecter des EMRIs qui subissent l'effet d'une lentille gravitationnelle (appelés LEMRIs). C'est l'objet d'un travail récent porté par une équipe interdisciplinaire du Laboratoire des 2 infinis - Toulouse (L2IT), composée de trois femmes et de deux hommes, étudiants et chercheurs, ayant des expertises complémentaires en relativité générale, cosmologie, astrophysique et en analyse de données.

L'équipe a étudié l'effet d'une lentille gravitationnelle induite par des galaxies sur différents modèles de population d'EMRIs, en tenant compte de toutes les incertitudes dues à la physique, encore largement inconnue, qui régit la formation de ces sources. Leurs conclusions indiquent que LISA sera en mesure de détecter jusqu'à 10 LEMRIs par an environ.

Les LEMRIs peuvent être identifiées de manière robuste dans le flux de données de LISA et distinguées des EMRIs standards grâce à une technique totalement indépendante des caractéristiques de la lentille gravitationnelle, évitant ainsi tout biais. Une seule observation d'une LEMRI avec LISA peut offrir des mesures précises non seulement des propriétés de la source, comme c'est souvent le cas en astronomie des ondes gravitationnelles, mais aussi des propriétés de l'objet massif qui définit la lentille elle-même, en particulier sa masse.

Cette étude révèle en outre que la position des LEMRIs dans le ciel soit obtenue avec une bien meilleure précision que celle des EMRIs standard, ce qui augmente la probabilité d'identifier leur galaxie hôte. L'équipe du L2IT a notamment montré que la détection d'une seule LEMRI dont la galaxie hôte aurait été identifiée permettrait une mesure précise de la constante de Hubble - paramètre décrivant la vitesse d'expansion actuelle de l'Univers - dont la valeur insaisissable constitue l'un des plus grands mystères de la cosmologie contemporaine.

  • 1L2IT – IN2P3 : CNRS, UT3
  • 2Le phénomène de lentille gravitationnelle est produit par la présence d’un objet ou d’un ensemble d’objets célestes massif entre un observateur et une source de rayonnement (lumineux ou gravitationnel), causant une déformation de la perception du rayonnement par l’observateur.
  • 3www.lisamission.org
  • 4www.ligo.org
  • 5www.virgo-gw.eu

Référence bibliographique

Strongly lensed extreme mass-ratio inspirals, Martina Toscani, Ollie Burke, Chang Liu, Nour Bou Zamel, Nicola Tamanini, and Federico Pozzoli, Phys. Rev. D, vol. 109, 4 mars 2024.

DOI : https://doi.org/10.1103/PhysRevD.109.063505

Contact

Martina Toscani
Post-doctorante à l'Université de Milan
Nicola Tamanini
directeur de recherche CNRS au Laboratoire des 2 infinis - Toulouse (L2IT - IN2P3 : CNRS, UT3)
Simon Leveque
Chargé de communication - attaché de presse CNRS Occitanie Ouest