Une intelligence artificielle au service du diagnostic de l’épilepsie ?

Innovation Biologie

Bien connue et pourtant mystérieuse, l’épilepsie constitue la troisième maladie neurologique la plus répandue en France, après la migraine et la démence. Touchant près d’1% de la population française, elle peut se manifester par une importante variété de symptômes. Malgré un fort investissement de la recherche française sur ce sujet, de nombreuses zones d’ombre accompagnent toujours le diagnostic et le traitement de cette maladie. Forte de ce constat, une équipe mixte du Centre de recherche cerveau et cognition1 (CerCo) et de l’École nationale de l’aviation civile2 (ENAC) s’est intéressée aux nouveaux dispositifs permettant de déceler des crises et surtout d’identifier le foyer épileptogène.

Adobe Stock
© Dr Microbe/Adobe Stock

Observée depuis des millénaires sous diverses dénominations, l’épilepsie touche aujourd’hui majoritairement les jeunes. En effet, près de la moitié des personnes souffrant d’épilepsie en France sont âgées de moins de 20 ans. Parmi l’ensemble des personnes épileptiques, seules 60 à 70% sont réceptives aux traitements, essentiellement médicamenteux, qui permettent de contrôler l’apparition de crises.

Un diagnostic qui peut parfois s’avérer laborieux

À l’heure actuelle, le diagnostic de l’épilepsie nécessite plusieurs examens cliniques et un bilan biologique, complétés par des analyses plus invasives dans le cas où l’origine du syndrome épileptique ne serait pas identifiée. Une fois confirmé à l’aide d’outils d’imagerie et d’un électroencéphalogramme (EEG), le diagnostic final permet d’initier un traitement, qui passe dans un premier temps par des moyens médicamenteux. En cas de pharmaco-résistance, une intervention chirurgicale peut être envisagée.

  • 1Tutelles : CNRS, UT3
  • 2Le laboratoire de recherche ENAC
La chirurgie ne peut intervenir qu’à condition que le foyer épileptogène ne soit pas trop étendu et situé dans une zone du cerveau non fonctionnelle.
Ludovic Gardy, ingénieur de recherche CNRS au CerCo et co-fondateur de la startup Avrio MedTech

Pour cela, il est primordial d’identifier avec précision la zone du cerveau à l’origine des crises, que l’on appelle foyer épileptogène. Cette mission constitue la proposition centrale de la jeune entreprise Avrio MedTech, spin-off du CNRS. Développé dans le cadre d’une thèse de doctorat menée par Ludovic Gardy entre l’ENAC et le CerCo, l’outil au cœur de cette startup permettra d’identifier précisément le foyer épileptogène à l’aide de biomarqueurs innovants. Lesquels biomarqueurs, sortes de « signaux spécifiques », seront décelables par une intelligence artificielle au sein des nombreuses données issues d’EEG intracrâniens.

Baptisé Halyzia, cet algorithme basé sur un réseau de neurones artificiels pourrait permettre d’accélérer considérablement le traitement des données issues des EEG des patient·es. En effet, « lorsqu’il y a une incertitude sur la localisation du foyer épileptogène, les explorations invasives menées à l’aide d’électrodes intracérébrales génèrent des quantités colossales de données que les médecins doivent analyser à la main, ce qui peut prendre jusqu’à un an » explique Ludovic Gardy. L’algorithme d’intelligence artificielle développé par Avrio MedTech peut les traiter rapidement et de manière fiable.

Cerco
A gauche : exemple de visualisation des données dans l’interface d’Halyzia avec en arrière-plan un biomarqueur caractéristique de la zone épileptogène affiché selon trois représentations : signal brut, signal filtré, carte temps-fréquence et au premier plan, une courte portion de l’activité EEG du patient. A droite : résumé projeté dans le cerveau. Les cercles de couleurs représentent les électrodes intracérébrales et les triangles jaunes la localisation des oscillations physiopathologiques qui marquent le réseau épileptique.

© Avrio MedTech

En s’intéressant notamment aux oscillations rapides (appelées « fast ripples »), observables lors de l’analyse des données d’un EEG intracrânien, l’équipe scientifique composée de Ludovic Gardy, Emmanuel Barbeau, directeur de recherche CNRS au CerCo et Christophe Hurter, chercheur à l’ENAC, estime qu’il serait possible d’aboutir plus rapidement à l’identification précise du foyer épileptogène. La zone identifiée comme étant à l’origine des crises serait ensuite soumise à la validation d’un·e professionnel·le de santé.

À l’heure actuelle, il arrive que des patients opérés soient toujours malades, car le foyer épileptogène n’avait pas été identifié assez précisément.
Ludovic Gardy, ingénieur de recherche CNRS au CerCo et co-fondateur de la startup Avrio MedTech

Un outil qui pourrait profiter au plus grand nombre

L’ambition des scientifiques du CerCo et de l’ENAC est claire : « notre objectif à terme est que notre outil puisse être incorporé à l’hôpital, en fonctionnant en temps réel » martèle Ludovic Gardy. Pour ce faire, le dispositif développé par Avrio MedTech doit réunir un ensemble de validations médicales mais aussi techniques, pour la plupart en cours.

Cerco
De gauche à droite : Christophe Hurter, chercheur à l’ENAC et Technical Lead d'Avrio MedTech ; Karine Seymour, future CEO d'Avrio MedTech ; Emmanuel Barbeau, directeur de recherche CNRS au CerCo et Clinical Lead d'AvrioMedTech ; Ludovic Gardy, ingénieur de recherche CNRS au CerCo et futur Lead Data Scientist d'Avrio MedTech

© Avrio MedTech

Dans un premier temps, le nouveau biomarqueur analysé par l’outil de l’entreprise toulousaine doit encore faire l’objet de validations par la communauté scientifique, comme l’explique Ludovic Gardy : « la littérature montre que les fast ripples sont spécifiques au foyer épileptogène, contrairement aux autres biomarqueurs, mais nous devons encore déterminer si ce seul indicateur est suffisant ». Dans ce but, un projet hospitalier de recherche clinique (PHRC) porté par le Dr Luc Valton, praticien hospitalier au CHU de Toulouse, s’intéresse aux apports concrets des fast ripples dans la prise en charge neurochirurgicale des épilepsies pharmaco-résistantes.

Une fois cette validation obtenue, le dispositif devra être refondu dans sa globalité afin d’entrer en conformité avec les infrastructures et les procédures hospitalières. À cela s’ajoute l’obtention d’autorisations de commercialisation propres à l’Europe et à chaque pays au-delà de l’Union européenne au sein duquel pourrait se disséminer cette technologie innovante.

Soutenu depuis 2023 par le CNRS dans le cadre de son programme d’accompagnement RISE3 , le projet porté par l’entreprise toulousaine souhaite également s’appliquer aux biomarqueurs historiquement identifiés dans épilepsie – comme les pointes épileptiques intercritiques – afin de fournir un outil polyvalent au service des personnels hospitaliers.

Et pourquoi ne pas s’ouvrir à d’autres pathologies ? C’est également une question qui taraude Ludovic Gardy, co-fondateur de la start-up Avrio MedTech. S’il devait se projeter à plus long terme, il indique que « dans quelques années, nous souhaitons nous intéresser aux données de sommeil en utilisant les mêmes méthodes de travail et les mêmes outils ».

  • 3https://www.cnrsinnovation.com/rise/

Contact

Ludovic Gardy
Ingénieur de recherche CNRS au Centre de recherche Cerveau et Cognition (CerCo - CNRS, UT3)
Simon Leveque
Chargé de communication - attaché de presse CNRS Occitanie Ouest